Par Dre Kate Grantham, Consultante en développement international et Vice-présidente de l’ACÉDI
Les résultats des récentes élections fédérales au Canada ont accordé au gouvernement libéral de Justin Trudeau une autre occasion de faire progresser sa politique étrangère féministe, qui a été largement saluée et mise en avant. Cette fois-ci pourtant, les libéraux sont confrontés à une lutte ardue avec un gouvernement minoritaire, dans un contexte mondial où les mouvements nationalistes de droite et antiféministes sont à la hausse.
Depuis son arrivée au pouvoir en 2015, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau a fait plusieurs annonces importantes témoignant ainsi son engagement en faveur d’un programme de politique étrangère féministe. En juin 2017 plus particulièrement, le gouvernement a présenté sa politique d’aide internationale féministe qui « vise à éliminer la pauvreté et à bâtir un monde plus pacifique, plus inclusif et plus prospère… [par] la promotion de l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et des filles ». D’autres exemples comprennent la décision du gouvernement de faire de l’égalité des genres un pivot de sa présidence du G7 en 2018, ses efforts pour l’inclusion de la protection des genres dans plusieurs accords de libre-échange récemment négociés, la nomination de la toute première ambassadrice du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité, et son engagement à investir 1,4 milliard $ sur dix ans dans des initiatives mondiales visant à promouvoir la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes.
Les ambitions du gouvernement sont certainement admirables et nécessaires pour corriger le manque d’intérêt dont les diverses expériences des femmes et des filles ont fait l’objet historiquement au sein de la politique étrangère canadienne. Pourtant, la réalisation d’une approche féministe globale sur l’ensemble des trois piliers du portefeuille d’Affaires mondiales Canada – à savoir la diplomatie, le commerce et le développement – présente de véritables défis, notamment en raison de la conjoncture économique et politique mondiale actuelle.
Les pays d’Amérique du Nord, d’Europe et du monde entier assistent à la prolifération de mouvements nationalistes de droite et antiféministes, qui sont largement imputables à une réaction contre la menace perçue d’un programme féministe comme celui que propose Affaires mondiales Canada.
Aux États-Unis, deux jours seulement après la Marche historique des femmes sur Washington, Donald Trump a rétabli la « règle du bâillon mondial » précédemment abrogée par Obama, interdisant le financement des organisations qui offrent des services d’avortement, de référence ou de plaidoyer. Trump a également élargi la politique pour y inclure, pour la première fois, des organisations non gouvernementales appuyant d’autres groupes qui offrent des services d’avortement ou qui ne font qu’en discuter. Le climat international actuel fait mener une lutte décisive et difficile au leadership mondial du Canada en matière d’égalité entre les genres plus particulièrement en santé et droits sexuels et reproductifs.
Des tensions très réelles existent également quant à la concrétisation d’une politique étrangère féministe globale car les objectifs des secteurs canadiens du développement, de la diplomatie et du commerce ne sont pas toujours bien alignés. À titre d’exemple, le gouvernement canadien a fait l’objet de vives critiques au début de l’année pour avoir procéder à la vente de véhicules blindés légers d’une valeur de 15 milliards de dollars à l’Arabie saoudite, en dépit des rapports selon lesquels ces véhicules seraient susceptibles d’être utilisés à des fins de répression militaire, en contradiction directe avec les principes féministes.
Des tensions semblables existent pour les intérêts économiques du Canada à l’étranger, et ont été mises en évidence lorsque le gouvernement est revenu sur son engagement de créer un mécanisme indépendant de surveillance des entreprises en matière de respect des droits de la personne. Et ce, en dépit des preuves de violations généralisées et flagrantes des droits de la personne par des entreprises et des chaînes d’approvisionnement canadiennes à l’étranger, notamment dans les secteurs minier, pétrolier et gazier, et celui de l’habillement.
Toutefois, au pays, l’appui du public canadien à l’aide au développement international semble diminuer dans certains milieux. La promesse faite par le chef conservateur Andrew Scheer de réduire de 25 pourcent les dépenses d’aide étrangère du Canada une fois élu témoigne de la position profondément politisée et précaire des dépenses d’aide étrangère du Canada. L’annonce de M. Scheer a été accueillie avec inquiétude par ceux qui travaillent dans le secteur de l’aide, et qui se sont montrés particulièrement critiques à l’égard de la désinformation qui a été répandue pendant la campagne. Le grand public canadien est toutefois demeuré relativement désintéressé de la question. Bien que la plupart des Canadiens s’accordent à dire qu’il est de notre devoir d’appuyer la santé, l’éducation et les possibilités économiques pour les plus pauvres et les plus marginalisés du monde, les recherches sur l’opinion publique du Partenariat canadien pour la santé des femmes et des enfants (CanSFE) indiquent que près d’un quart des Canadiens sont de l’avis contraire.
Si le gouvernement fédéral a une quelconque ambition sérieuse d’augmenter les dépenses prévues pour l’aide étrangère canadienne de 0,28 p. 100 du RNB (niveau actuel) à 0,7 p. 100 afin d’honorer son engagement datant de plusieurs décennies, il doit s’efforcer de sensibiliser davantage le public et d’obtenir son appui pour poursuivre les objectifs d’une politique féministe d’aide internationale.
Ce sont là de véritables défis et tensions auxquels il faut s’attaquer de front pour permettre au Canada de concrétiser les ambitions essentielles de son programme de politique étrangère féministe.
Le Sommet sur le leadership mondial du Canada, qui aura lieu à Ottawa les 27 et 28 novembre, est une occasion unique de discuter de la politique étrangère du Canada avec des personnes œuvrant dans les domaines du développement, de la diplomatie et du commerce. Plusieurs séances plénières et séances de groupes traiteront de cette question. Divers conférenciers provenant du Canada et de l’étranger prendront part au programme.
La plénière d’ouverture intitulée « Quel programme de politique étrangère pour le Canada ? », sera tenue le 27 novembre et mettra en vedette Shirley Kimmayong (fondatrice de Hagiyo Organization Inc.), Shirley Pryce (fondatrice du Jamaican Household Workers Union) et Hugh Segal (ancien sénateur conservateur) qui vont discuter de la vision partagée d’un programme ambitieux et percutant de politique étrangère canadienne.
Le 28 novembre, Jacqueline O’Neill (l’ambassadrice du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité) et le général Jonathan Vance (chef d’état-major des Forces armées canadiennes) seront en tête d’affiche d’une séance plénière, tenue après le dîner sur le thème du « renforcement de la participation des femmes aux processus de paix », et qui sera modérée par Ketty Nivyabandi de l’initiative des femmes Nobel. Cette séance portera sur les liens et croisements entre la question du genre et le leadership des femmes dans un contexte de défis mondiaux en matière de paix et de sécurité, et sur la façon dont ces liens peuvent éclairer la politique étrangère canadienne.
Plusieurs séances de groupes aborderont également la question de la politique étrangère féministe, dont « » tenue le 27 novembre, ainsi que « le Féminisme dans les programmes d’égalité des sexes et d’autonomisation des femmes » et « Justice climatique féministe », toutes deux tenues le 28 novembre.
Dre Kate Grantham est une consultante en développement international spécialisée dans la recherche et les approches féministes. Elle est également vice-présidente de l’Association canadienne d’études du développement international (ACÉDI). Suivez @KateGrantham sur Twitter.